Tout va bien en Côte d’Ivoire

Article : Tout va bien en Côte d’Ivoire
Crédit: AMISOM via Iwaria
31 août 2021

Tout va bien en Côte d’Ivoire

Politiques, artistes, sportifs, autorités religieuses, cellules familiales, on a fait le choix depuis quelques années de se taire, de fermer les yeux et de prétendre que « tout va bien » en Côte d’Ivoire. Les émissions éducatives n’ont pas d’audience, les émissions à sensation nous font vibrer. On s’intéresse tous aux casseroles du voisin mais jamais à ce qui se passe chez nous. On a encouragé la médiocrité à tous les niveaux de la société. On a opté pour les télénovelas et le kongossa* bon marché en présence de nos enfants. On suit de près les clashs grossiers et macabres entres artistes ou « influenceurs », on fredonne tous, des chansons ou on parle de boda, kpôclé, kpêtou…* Aujourd’hui qu’on l’accepte ou non, nous avons tous une part de responsabilité dans cette décadence de la société ivoirienne.

Ignorance ou hypocrysie?

Il y a peu, la toile ivoirienne s’enflammait pour une histoire de langue entre deux « influenceuses ». Durant deux semaines, j’ai vu des adultes commenter de la plus vile manière cette histoire, se délectant de tous ses angles crapuleux. On a vu des gens (si peu nombreux soient-ils) organiser une marche dans leur quartier pour défendre une « prisonnière de la bouche » que dis-je de la langue. Des gens incapables de se réunir pour défendre leurs droits mais prêts à sortir pour une histoire de c… entre deux personnes adultes. Est-ce que mon peuple s’entend? Est-ce que mon peuple se voit? On s’étonne aujourd’hui, de ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Comme si on venait de se réveiller d’un long coma. On s’étonne de ce qu’on a implicitement encouragé? Kpaaa!* On peut être si hypocrite ?

Tout va bien

Aujourd’hui on ne parle plus d’amour, de sentiments, les adolescents ne se braiquent * plus 🤷🏾‍♀️. Non, ils parlent d’argent, de tontines sexuelles, de bizzi*, d’alcool, de chicha, de drogues… Dans quasi toutes les communes de la capitale ivoirienne, l’alcool est servi à tous, de jeunes écoliers fument la chicha sans s’en cacher. On a sapé l’autorité de l’enseignant, on l’a jeté à la rue. Les plus forts s’en sont emparés.

De quoi le peuple s’étonne lorsqu’au sommet de l’Etat, « on ne fait rien avec ça » ? De quoi s’étonne t-on quand dans les plus hautes sphères on se permet de dérouler le tapis rouge à des insulteurs publics, des gens sans éducation et sans vergogne? Quand des élus du peuple, des éducateurs se donnent le droit d’humilier la gente féminine devant toute une nation et qu’aucune mesure de représailles n’ait vu le jour… Alors que des vendeuses de produits décapants font la pluie et le beau temps sur la toile, se baladent sans crainte, en dépit de la législation ivoirienne qui en proscrit la vente. Qu’est-ce qui nous étonne ?

Abidjan sous le choc

La nuit dernière, une émission a choqué le monde. La Nouvelle Chaîne Ivoirienne (NCI) a laissé s’exprimer en direct et à une heure de grande audience sur ses antennes, un ancien condamné pour viols. Les téléspectateurs assisteront à une simulation de viol sur un mannequin en plastique, un choc pour des milliers de victimes et de personnes. L’animateur un peu trop à l’aise avec la situation, posant des questions maladroites et indécentes, s’attirera des foudres nationales. On s’époumone, la société crie au scandale. Prestement (heureusement) des associations de défenses des droits humains sont montées au créneau. Aussitôt des excuses, des sanctions… Je suis quelque part soulagée de cette giga indignation spontanée, nous avons donc une société civile qui commence à s’imposer (sur certains sujets en tout cas). Toutefois, vu l’état de délabrement de nos valeurs, j’ai bien peur que nous ne soyons pas au bout de nos peines et que de simples communiqués pondus par nos chers ministères ne suffisent pas à guérir nos maux. Il en faut bien plus.

Certains n’ont pu fermer les yeux, je les comprends parfaitement, une agression sexuelle n’a rien d’amusant, on ne s’en remet presque jamais. Néanmoins, il est bon de souligner qu’il y a bien longtemps qu’une grande majorité d’ivoiriens a perdu le sommeil. Les populations subissent des agressions dont les auteurs semblent connus et intouchables. Des enfants sont violés, abusés, des pères, des mères meurent dans les couloirs de nos hôpitaux sans couverture sociale, sans aucun regard de compassion, souvent pour des ordonnances de moins de 20 000 francs CFA alors que certains bénéficient de l’avion présidentiel pour un malaise. Aucun ivoirien ne devrait « coûter » plus cher qu’un autre. 

Y a fohi!

Empêtrés dans nos soucis existentiels, nous avons laissé le vice prendre le dessus, nos valeurs n’en sont plus. Pour s’évader, le peuple se réfugie dans l’immonde. Nous sommes devenus accros au sensationnel. Les pouvoirs publics ne prennent aucune mesure jusqu’au drame. Des faiseurs de miracles attirent les foules, par milliers des gens en quête de bien-être empruntent le chemin de Kolia – quand ils n’ont pas les moyens de se payer le voyage hors de nos frontières- ils s’entassent dans une promiscuité opaque et sans pareille, dans une zone géographique poreuse et perméable aux manœuvres terroristes. Les uns n’y prêteront attention qu’une fois le drame survenu.

Mon peuple a faim de valeurs, ma société est en pleine décadence mais nous crions Y a fohi* !

Matagaly

Kpaaa: Interjection pour exprimer l’indifférence, le mépris bizzi: prostitution boda: orifice anal kpôklé: prostituée kpêtou: vagin braiquer: faire la cour Y a fohi: Tout va bien

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